Le Crédit Impôts Recherche dans les PME : retour d’expérience

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Notre entreprise est une PME qui a 35 ans d’existence. Cette entreprise a toujours fonctionné avec une démarche d’innovation. Au début, avec des solutions de rupture par rapport à l’existant, puis en tant que démarche pour pérenniser l’entreprise face à des concurrents toujours plus nombreux.

Comme toutes PME, la situation financière est toujours précaire et les projets et activités sont toujours risqués même sur des projets du cœur de métier. Ils demandent un investissement long, avec des verrous techniques et commerciaux qui sont autant de risques de ne pas être en phase avec le marché et nos clients. Aussi, quand le Crédit d’Impôts Recherche a été mis en place dans la loi finance de 1983, l’entreprise a très rapidement compris que ce type de dispositif permettait de limiter les risques pris au niveau des projets et de renforcer la part de R&D. Nous sommes donc une entreprise qui déclare des projets CIR depuis 1991. En tant qu’éditeur logiciel, il est très facile de se transformer en société de service pour le développement de fonctionnalités pour nos clients et d’oublier notre ligne éditoriale. Le CIR permettait justement de pouvoir arbitrer entre des solutions clients et de l’innovation.

Le retour d’expérience que nous avons de ce dispositif est mitigé. Le Crédit d’Impôt Recherche a permis de nous lancer dans de nombreux projets risqués, impossible à lancer sans cette optimisation fiscale. Des échecs, toutes entreprises, même prudentes en aura. Un échec technique, c’est un produit commercial qui ne sortira jamais. Je suis un « ancien » chercheur qui à la fin de son doctorat a fait le pari de partir dans le privé. Un choix de carrière qui aurait été plus facile à l’étranger qu’en France avec une tradition ingénieur. Grâce au CIR, un dispositif que j’ai appris très rapidement à connaitre, les entreprises peuvent éventuellement accepter le risque de prendre une personne dont le rôle de « docteur » est assez flou. Le CIR est donc devenu un atout pour les entretiens d’embauche. C’est ainsi que je suis entré chez ESII donc d’un point de vue personnel, c’est une réussite. Dans l’entreprise, le CIR était un processus connu depuis 15 ans. Cependant, avec la politique de contrôle mise en place à partir de 2007, les entreprises se sont mises à se faire contrôler de façon massive. La nôtre n’a évidemment pas échappé au couperet et en tombant, il a failli mettre en péril l’entreprise. Cinq années de CIR redressées en totalité ou en partie, un cabinet de conseil qui n’était pas de si bons conseils, et surtout une incroyable incompréhension de l’entreprise et des équipes qui pensaient bien faire, et forcément, une perte de confiance dans le dispositif : Pourquoi nous inciter si c’est pour reprendre derrière ?

Quel a été le bilan de ces contrôles ?

Quand on fait du CIR, on doit transformer et s’organiser « académiquement ». Nos dossiers rejetés sur 5 ans nous ont permis d’apprendre à connaitre nos contrôleurs, des chercheurs du milieu académique qui s’attendaient à une démarche de recherche académique. Or dans une entreprise constituée principalement d’ingénieurs, cette démarche est réalisée à leur manière. Un ingénieur cherche le résultat car derrière il y a un client, un marché, des commerciaux qui attendent de lui qu’il résolve les problèmes de son client. D’ailleurs pourquoi lui parle-t-on de technique ? De ce fait, l’accent est mis sur sa démarche de résolution et non pas sur la démarche qui consiste à mettre en avant les verrous techniques. Le CIR nous a rapidement appris à parler un autre langage : la veille technologique devient l’état de l’art, le marché devient les objectifs, les problèmes des verrous techniques et le résultat final une simple ligne de conclusion dans laquelle on doit oublier pourquoi à la base on prend des risques.

La réécriture de nos dossiers en suivant cette trame a été coûteuse, l’organisation que nous avons mis en place aussi. Mais au final, l’ensemble des dossiers rejetés ont finalement été reconnus. C’est pourquoi, je parle de bilan mitigé. Si on regarde, les temps passés par chaque ingénieur chaque jour à remplir des tableaux de temps, à spécifier chaque élément de sa démarche, on se rend vite compte que la démarche CIR est incitative mais pas autant que pourrait le laisser croire le dispositif. Pour faire du CIR, il faut accepter de parler un langage qui n’est pas naturel pour l’entreprise mais qui est celui de l’expert. Une entreprise mesure la réussite avec le chiffre d’affaires, un expert mesure la réussite à l’avancé de l’état de l’art. Les ingénieurs sont sous la pression des clients, ils vont donc nécessairement mettre en avant la réussite commerciale. La construction du dossier et sa rédaction vont donc fortement influencer l’expert et en fonction de comment est rédigé le dossier, on passe d’une éligibilité de 0% à 100%. Dans notre cas, nous avons eu un allier de premier choix avec la médiation d’entreprise, qui nous a permis de dépayser notre dossier et de le réécrire. Et en parlant le langage de l’expert, nous avons su le convaincre. Mais il a fallu batailler 7 ans entre les différents tribunaux administratifs pour faire entendre notre voix.

Le crédit Impôts Innovation

Les éditeurs logiciels, pour faire face à l’émergence des concurrents, doivent adapter leurs organisations. L’entreprise a fait le pari il y a deux ans de changer sa méthode de travail pour passer en mode AGILE. L’organisation mise en place avec le CIR a donc volé en éclat. Car ce que nous apprends l’agilité c’est de parler « utilisateur », « usagers », « clients » un discours que l’on retrouve dans le nouveau dispositif Crédit impôt innovation mais pas dans le crédit impôt recherche. Le dispositif CIR qui n’était déjà pas naturel pour une entreprise avec des ingénieurs, fonctionne moins bien avec l’agilité. Il faut travailler sur des projets connexes pour maintenir la même organisation. C’est en cela que le Crédit Impôts Innovation est lui beaucoup plus incitatifs même si beaucoup plus limité.

La démarche du CII parle un langage très proche de celui de l’entreprise avec le vocabulaire de l’entreprise. On parle de marchés, de clients, de concurrences, d’une démarche qui est réalisée pour chaque projet et donc la lourdeur administrative nécessaire pour le CIR disparait presque avec le CII. Il est donc parfois bien plus avantageux pour une entreprise de déclarer des projets de recherche en innovation. Moins risqué, un langage que l’on connait et que l’on maitrise et une documentation facile à récupérer. Même si le taux est plus faible, entre les sociétés de conseil qui prennent une partie du CIR, de l’organisation et des temps passés à gérer au quotidien les projets, et les temps à rédiger l’administratif avec les rescrits pour sécuriser le projet, finalement entre 20 et 30% le calcul est parfois vite fait. Mais malheureusement des montants plafonnés à 80.000€ représentent assez peu de projets. Ce qui est dommage, c’est qu’il existe pour l’innovation d’autres dispositifs pour financer la recherche dans l’entreprise. Et ces dispositifs s’appuient beaucoup plus sur la trame « CII » que pour la trame « CIR ».

Les bonnes pratiques et les conseils

Le Crédit Impôt Recherche est néanmoins un outil indispensable à condition de mettre en place des bonnes pratiques. Le premier élément que nous avons mis en place et le suivi des temps. Chez nous, chaque ingénieur utilise JIRA comme outil de développement auquel nous avons ajouté le plugin Tempo pour le suivi des temps. Nous avons mis en place des indicateurs pour chaque projet pour différencier pour chaque tâche les éléments qui sont du CIR/CII et des tâches courantes. On a ainsi un premier filtre automatique sur la typologie des tâches qui est validé mois par mois. Ce suivi des temps est indispensable surtout pour l’expert qui voit ce que fait chaque ingénieur au quotidien. Au niveau organisationnel, il est important d’avoir une personne dédiée à la construction des dossiers… Il est important que ce suivi soit réalisé à travers les tâches mais aussi avec un storyboard pour suivre l’évolution du projet. Ces éléments sont la base de la constitution du projet. La personne dédiée doit être pour moi un docteur. Je parle par expérience, en mettant en place cette organisation dans mon entreprise, on a rapidement sécurisé l’ensemble de nos CIR. C’est également l’opportunité pour ce docteur de prendre contact avec les universités pour travailler conjointement sur des extensions du projet. Car l’un des points clés du CIR est avant tout le fait de travailler avec les universités. Et un docteur à ce poste possède des contacts dans les universités pour valoriser le projet et travailler ensemble. L’apport technologique de ces relations grâce au CIR est un atout à ne surtout pas négliger mais long à mettre en place.

Le rescrit fiscal est un des outils pour sécuriser le CIR que nous utilisons principalement sur les projets de plusieurs années. Notamment, lors des projets universitaires avec des étudiants en thèse, il me semble indispensable de faire un rescrit. Car contrairement à ce que l’on pourrait croire, pour un travail de recherche mené par un laboratoire, l’éligibilité n’est pas moins fastidieuse à démontrer. Pour les projets plus courts sur lesquels il y a un risque, même minime, nous ne nous risquons pas au CIR. Nous les déclarons en innovation.

Enfin, une bonne société de conseil sur le CIR est indispensable. Et je ne peux que conseiller lors du choix de l’entreprise conseil de prendre contact avec une entreprise gérée par un cabinet qui a déjà subi un redressement. Nous avons été accompagnés par Myriagone Conseil pendant nos redressements. Ils ont été très clairs sur les problématiques organisationnelles et rédactionnelles et nous ont permis de mieux gérer les dossiers CIR. Lors du redressement, on voit exactement si les conseils ont été bons, si la relecture et les trames de travail sont bonnes. Une vraie société de conseil aidera également à la mise en place de l’organisation. Nous en avons subi les conséquences lors de nos premiers contrôles où les dossiers que nous devions remplir étaient totalement en inadéquation avec ce que voulaient les experts. Il nous a fallu jusqu’à quatre réécritures de dossiers pour nous en sortir.

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